Une grotte occupée...

Darek entra dans la caverne, empoignant fermement sa hache à deux mains. La grotte était illuminée par un feu de camp dont les quelques braises restantes luisaient faiblement ; au fond, près du feu, un homme encapuchonné était adossé à la roche : un pan de son manteau était rabattu, laissant entrevoir la lame d'une dague fixée à sa ceinture. L'homme ne bougeait pas, il semblait endormi.

Excusez-moi, chuchotta Darek, est-ce que...

Il avait prononcé ces mots à voix basse, sans vraiment penser qu'il allait réveiller le dormeur ; pourtant, celui-ci se leva d'un bond, il y eut le chuintement caractéristique d'une lame sortant de son fourreau, un éclat d'acier, et le géant se retrouva face un homme armé, pointant un poignard vers lui.

Dès qu'il vit son visage, il le reconnut : c'était le mystérieux voleur qui lui avait planté sa dague dans le ventre, au palais de l'Empereur ! Aussitôt, Darek éprouva une vive rage : l'homme l'avait eu par surprise et avait fui sans laisser lui laisser le temps de réagir. Darek avait juré qu'ils se retrouveraient, et à peine plus d'une semaine plus tard, il étaient de nouveau face à face.

Le géant était plutôt désavantagé ; blessé à plusieurs endroits, sa marche à travers les plaines l'avait vraiment épuisé : ses forces lui manquaient, il n'avait pas mangé de vrai repas depuis longtemps. Sa nuit avait été courte, en réalité il n'avait presque pas dormi, de peur d'être attaqué par un félin.

En réalité, le voleur n'avait pas l'air en très bonne forme non plus, il paraissait fatigué et ses yeux étaient cernés. C'est le moment ou jamais de le tuer, pensa Darek.

Nous allons nous battre ! cria-t-il à l'homme encapuchonné. Mais avant de mettre fin à ta vie, je veux connaître ton nom !

Drako venait de traverser les Plaines d'Ascaroth, après son évasion de prison ( Voir : -> Évasion ). Les seuls félins qui l'avaient approché avaient été, heureusement pour lui, solitaires à chaque fois : ils avaient trouvé la mort d’un lancer de dague. Le Voleur s’était embarqué dans cette aventure sans nourriture, aussi en avait-il profité pour faire des provisions de viande sur les cadavres laissés derrière lui.

Après une journée de course sans repos à travers les Plaines d'Ascaroth, rompu, il avait trouvé une Caverne. Il avait ramassé des tas de brindilles sèches pour en faire un feu, armé de son briquet en amadou. Celles-ci se consumeraient rapidement, et il devrait alors partir.

Il sortit un peu de viande de son sac et la fit chauffer sur le feu. Il devait reprendre des forces, afin de repartir dans trois heures. Quand un délicieux parfum se mit à monter de la viande, Drako la retira du feu et y mordit à pleines dents. Elle était tendre, saignante et succulente...

Son repas terminé, le Voleur s'adossa au fond de la Caverne et entreprit de trouver le sommeil. Il n'y parvint pas, aussi décida-t-il de se reposer dans cette position en restant éveillé. Peu à peu, il reprit des forces.

Il devait être près de minuit quand la lumière du feu se mit à décliner. Drako allait se relever pour s'apprêter à reprendre la route, lorsqu'il entendit un bruit de pas. Il distingua une imposante silhouette dans l'ombre.

Excusez-moi… Est-ce que… fit l’étranger d’une voix grave, correspondant à merveille à son physique.

C’est là que Drako reconnut l’homme : c’était le colosse du Palais... Il se leva brusquement et sortit sa nouvelle dague. Apparemment, le géant l’avait aussi reconnu, car il cria soudain :

- Nous allons nous battre ! Mais avant de mettre fin à ta vie, je veux connaître ton nom ! cria le Barbare.

- Alors, on se retrouve... Ha ha ha ! Il me semble que tu as en ta possession une dague qui m'appartient ! Tu veux connaître mon nom ? Très bien ! Je suis Drako le Voleur, l’Assassin ! Mais dévoile-moi donc aussi ton identité, au lieu de fabuler !

- Mon nom est Darek ! Et sache que je passe ma vie à pourchasser les hommes dans ton genre. Tu es un bandit, un assassin même, tu l'as avoué toi-mêmê : tu mérites donc la mort, comme tous les autres qui ont péri sous les lames de ma hache !

Drako sourit cruellement. Il n'avait pas l'air tellement impressionné par son discours...

Tant pis, pensa Darek. Il comprendra bien quand son corps sera séparé en plusieurs morceaux...

- Battons-nous plutôt devant la caverne, ajouta-t-il. On verra si tu es capable de faire un combat loyal, cette fois...

Le colosse s'effaça pour laisser passer l'Assassin.

- Après toi...

Drako réfléchit l'espace d'un instant, avant de prendre la parole.

Je n'en ferai rien... Battons-nous dans cette Caverne !

Les chances de Drako seraient moindres en cas de combat dehors : il serait à découvert, n'aurait aucun endroit pour se cacher, et, si l'on comptait l'intervention possible d'un félin... Sa mort était quasi assurée.

L'Assassin observa le lieu pour tenter d'inventer une stratégie de combat. Il estima ses dimensions à à peu près vingt mètres de long sur cinq de large, bien que de temps en temps, un pan de mur s'avançât sur cinquante centimètres. Le combat était jouable.

Drako lança la dague qu'il avait en main afin d'éloigner le Barbare. La feinte fonctionna, et le colosse se déplaça vers la gauche, se rapprochant de l'Assassin, qui se décala vers la droite. Il répéta l'opération. Les deux hommes avaient déjà décrit un quart de cercle.

Soudain, l'Assassin bondit, et récupéra ses deux lames. Il sourit : c'était maintenant Darek qui était au fond de la Caverne, et lui qui se trouvait du côté de la sortie. Il mettait ainsi toutes les chances de son côté : il pourrait toujours fuir si ses lancers s'avéraient inutiles, et si le corps à corps devenait inévitable. Si un combat rapproché avait lieu ce soir, Drako y laisserait à coup sûr la vie. Autant éviter un tel désastre.

Sache, cher Darek, puisque tel est ton nom, que tu me rendras ce soir-même la dague que tu m'as contraint de planter dans tes misérables entrailles ! Je la récupèrerai de gré ou de force. Je préfère malgré tout te le demander avant d'adopter la manière forte... Acceptes-tu, Darek, de me rendre ma lame avant de commencer ce combat, ou souhaites-tu faire de cette même lame mon objectif lors de notre lutte ? demanda le Voleur.

Drako attendit patiemment la réponse du Barbare à sa tirade, la mâchoire crispée.

Darek avait été contraint de reculer quand Drako lançait ses dagues vers lui. Maintenant, il se trouvait au fond de la caverne et l'assassin était dos à la sortie.

Ce lâche va encore s'enfuir, pensa le colosse.

Mais Drako ne bougea pas. Il ne l'attaque même pas. Au lieu de ça, il prit la parole :

- Sache, cher Darek, puisque tel est ton
nom, que tu me rendras ce soir-même la dague que tu m'as contraint de planter dans tes misérables entrailles ! Je la récupèrerai de gré ou de force. Je préfère malgré tout te le demander avant d'adopter la manière forte... Acceptes-tu, Darek, de me rendre ma lame avant de commencer ce combat, ou souhaites-tu faire de cette même lame mon objectif lors de notre lutte ?



Darek sentit monter en lui la colère. Ce bandit le menaçait ! Ce personnage si lâche se croyait en position de force !

- Enflure ! Je vais te la rendre, ton arme, puisque tu la désires tant.

Le colosse prit la dague accrochée à sa ceinture et s'avança de Drako. Celui-ci semblait surpris mais, toujours méfiant, sa garde n'avait pas changée. Alors que Darek n'était plus qu'à quelques pas de lui, il bondit en hurlant et tenta de lui enfoncer la lame dans le ventre. Mais l'assassin sauta vivement en arrière ; le poignard se ficha dans son épaule gauche.


Drako avait reculé. À présent, lui aussi était blessé, et Darek n'était pas certain qu'il pourrait encore manipuler son bras gauche pour lancer ses armes.
Le géant empoigna alors le manche de sa hache à deux mains, prêt au combat.

- La voici, ta dague. Tu es content ? demanda-t-il sardoniquement.

Drako retira d'un coup sec la dague de son épaule gauche, ce qui lui tira un hurlement de douleur. Tout son bras et son omoplate le lançaient. Il arracha un morceau de sa veste en soie, sous son revêtement de cuir, et la noua au-dessus de sa plaie, en guise de garrot. Il n'avait pas prévu ce coup, et la blessure était profonde.

Aïe ! Et merde ! Ca fait fichtrement mal... murmura-t-il pour lui-même.

Il regarda son adversaire, qui souriait.

Tu paieras, saligaud !

Sa douleur se transforma en haine. Il aurait du mal à se battre, mais après un tel coup, il ferait tout pour ôter la vie à Darek. Il poussa un rugissement sauvage, digne des félins régnant sur les Plaines d'Ascaroth. Il avait perdu l'usage d'un bras, mais possédait maintenant trois lames. Sa main droite les attrapa, puis les lança tandis qu'il bondissait. Les dagues filèrent vers Darek.

Trois dagues... Il ne pourra pas les éviter. Deux au moins le toucheront, et même si c'est superficiellement, cela me donnera une chance de reprendre l'avantage.

Comme prévu, Darek évita la première dague. La deuxième fut déviée par un rélexe du colosse, qui leva sa hache. La dernière, elle, vint se ficher dans le biceps droit du géant.

Ha ha ha ! La chance tourne, Darek ! Tu es blessé, dos au mur ! Et si tu me crois désarmé, détrompe-toi, je possède une épée courte.

Comme pour prouver ses dires, il tira une lame étincelante d'un fourreau caché dans l'une de ses bottes. Se remettant en garde, il fléchit les james, prêt à bondir.

Darek avait mal. Là, il en était certain : ses blessures à la cuisse et à l'avant-bras gauche se remettaient à le lancer, et la longue estafilade sur son torse, faite par un félin, n'arrangeait rien. Et maintenant, alors qu'il avait évité la première dague et dévié la deuxième, il avait reçu la troisième dans son biceps droit.

Darek ne cria pas. Il grogna en arrachant d'un coup sec le poignard fiché dans son muscle, et, agissant de manière purement instinctive, il lacéra de toute sa force la paroi de la grotte. La lame commença à s'effriter, perdit son tranchant, puis une fine craquelure apparut sur l'acier. Enfin, elle se tordit bizarrement : la dague ne servait plus à rien désormais.
Satisfait, Darek la lança vers Drako.

- Celle-là, je te la rends directement, ça te va ?

L'Assassin n'avait vraiment pas l'air content. Ses dagues étant toutes indisponibles, il avait dégainé une épée courte et, les mucles contractés, s'apprêtait à bondir sur le géant.

Il est fou, pensa Darek... Je suis blessé mais au corps à corps, cet homme ne vaut rien... Après tout, peut-être n'est-il pas si lâche que ça ? Ou seulement inconscient...

Il empoigna sa hache à deux mains. Son bras droit étant le moins valide, il rafermit sa prise avec sa main gauche et attendit. Avec un cri de rage, Drako sauta en avant. Hurlant aussi, sa voix de titan se répercutant dans la grotte, le géant fit décrire à sa hache un arc de cercle meutrier que l'assassin réussit à éviter en plongeant vivement sur le côté. Darek enchaîna en donnant un autre coup de hache censé trancher son corps en deux au niveau du ventre : mais Drako bondit une nouvelle fois en arrière et le colosse sentit quand même un léger contact avec les lames de sa hache. Apparemment, celles-ci avaient légèrement entaillé le flan gauche du voleur, faisant couler le sang.

Darek était partagé entre plusieurs sentiments. Tout d'abord, une colère féroce : il n'avait jamais vu aucun homme bouger si vite et éviter (du moins en partie) des attaques consécutives de sa hache. Drako était trop agile, trop vif... Darek se savait capable de l'écraser comme un insecte, mais s'il ne faisait que bouger et esquiver ses coups...
Le géant était quand même satisfait. Personne ne l'avait jamais battu dans un combat loyal au corps à corps, et il constata que Drako avait finalement reculé, semblant se rendre compte qu'un adversaire comme lui, maniant une hache comme la sienne, n'était pas facile à blesser au combat rapproché.

Darek attendait que l'assassin revienne à la charge. Il remarqua que l'obscurité s'intensifiait dans la caverne, et que les braises étaient presque complètement éteintes...

Drako contracta ses abdominaux, dans l'espoir de calmer sa douleur. Rien n'y fit. Le sang coulait peu, mais sa douleur était insupportable. Darek avait rendu l'une de ses lames inutilisables, et il n'avait plus qu'une chance de s'en tirer.

Il se concentra, et souffla. Après un bref instant de repos, l'Assassin se ressaisit, et mit toutes ses forces dans cet assaut. Il courut, bondit afin d'éviter la hache qui visait ses genoux, donna un coup de pied dans le poignet gauche du Barbare, lui faisant lâcher prise sur son arme, et, dans un dernier mouvement, ne pouvant utiliser la lame de son épée à cause d'une trop petite distance séparant sa main de la tête de son adversaire, administra un grand coup sur la pommette de Darek avec le pommeau de son épée, manquant la tempe de peu.

Malheureusement, il perdit l'équilibre en retombant, et s'étala de tout son long sur le sol rocheux de la Caverne. Il devait avoir un hématome au genou gauche, rien de bien grave, mais son épée courte lui avait échappé des mains. Drako allait se relever, lorsqu'il vit le colosse se jeter sur lui avec un hurlement sauvage. Il tenta de se décaler vers la droite, mais n'y parvint pas. Lorsque le corps du géant entra en contact avec le sien, il eut le souffle coupé, et sentit comme un craquement dans sa cage thoracique.

Aaah ! Enflure, je t'aurai ! hurla-t-il.

L'assassin était pour ainsi dire en mauvaise posture. Il avait un bras inutilisable, une côte brisée, une plaie au niveau des abdominaux, il était désarmé, et avait au-dessus de lui un colosse d'au moins deux cent cinquante livres.

Rhaa ! Encore une fois, je vais être contraint de fuir. Et je dois déjà me dérober à l'étreinte de Darek, pensa-t-il.

Drako n'avait plus qu'une unique chance pour dégager le Guerrier. Alors que ce dernier plaquait ses mains sur sa gorge, il tenta de prendre une bouffée d'air, ignorant la douleur au niveau de sa côte brisée, puis passa à l'action. Il ne devait pas rater cette occasion. D'un coup sec, il releva son genou droit, qui alla percuter les parties du géant. Celui-ci hurla de douleur et la lâcha immédiatement. Se servant de son seul bras encore valide, l'Assassin poussa le corps de Darek du côté gauche, puis se releva, titubant.

D'un coup, à ce même moment, les braises moururent, plongeant la Caserne dans l'obscurité.

Drako pesta, tandis que Darek tentait de se relever. Durant quelques secondes, un rayon de Lune se refléta sur l'épée courte du Voleur. Celui-ci s'en empara en silence.

Enfin, il sortit de la Caverne en boitant et en crachant un peu de sang, priant pour que les félins dorment pendant la nuit.

Ce n’est pas fini, Darek. Nous nous reverrons, j’en suis convaincu ! dit-il avant de s’enfoncer dans les ténèbres nocturnes.

Le coup qu'avait reçu Darek dans des parties sensibles de son corps l'avait obligé à déserrer son étreinte autour de la gorge de Drako, et celui-ci en avait profité par le pousser.

La grotte était désormais plongée dans l'obscurité. Le géant tenta de se relever, tituba, se rattrapa à une paroi et resta debout sans bouger. Il vit un éclat d'argent se refléter sur la lame de l'épée courte de Drako, puis plus rien. Les pas de l'assassin résonnèrent dans la caverne. Darek sut qu'il quittait la grotte, mais il n'essaya pas de le rattraper. En plus, il n'en aurait peut-être même pas la force...

- Ce n’est pas fini, Darek. Nous nous reverrons, j’en suis convaincu ! entendit-il.
- Lâche ! réussit-il à répondre. Reviens te battre !

Drako ne répondit pas. Il s'éloigna dans les ténèbres. Puis une phrase parvint jusqu'aux oreilles de Darek :

Mon art est avant tout celui de la survie, et n'admet pas les mots "honneur" et "lâcheté"...





Le colosse s'adossa à la paroi de la caverne. Son corps n'était que souffrance ; il avait des plaies de partout, et ses habits étaient rouges de sang. Il récupéra sa hache sur le sol. Quand il sentit le contact du cuir autour du manche, il eut l'impression que sa douleur disparaissait : seule une haine terrible brûlait encore dans son coeur. Une fois de plus, il l'avait laissé filé ! Il empoigna son arme à deux mains, sentant à peine son biceps droit qui le lançait : il avait envie de rugir, de tuer n'importe qui, de tout casser. Une violence et une colère incontrôlables s'agitaient en lui. Celles-ci bouillonnèrent dans son être pendant encore longtemps. Finalement, après s'être reposé quelques heures, et avoir mangé le reste de viande qu'il avait trouvé dans le sac que Drako avait laissé (il avait réussi à la faire cuire à moitié, en réunissant une poignée de brindilles dont il se servit pour allumer un feu qui ne tint même pas trois minutes), il se leva, tenant son arme à deux mains et, ignorant la souffrance, marcha dans les plaines.

Heureusement pour lui, il ne rencontra aucun félin. En fait, il aperçut rapidement un petit village dans lequel il put se reposer, cette fois-ci, plusieurs semaines. Un médecin s'occupa de ses blessures pendant ce temps et, même si ses méthodes s'avérèrent bien moins efficaces que celles du docteur à Aderoïc, Darek lui en fut reconnaissant. Mais lui avoua à la fin de sa convalescence qu'il avait sur lui à peine la moitié de la somme qu'il lui devait.
Il lui promit de le rembourser un jour et le médecin, qui n'avait pas l'air entièrement convaincu, fut bien obligé de le laisser partir.

Il acheta quelques provisions au village puis poursuivit sa route, une nouvelle fois en solitaire.